top of page

EXTRAITS DES OUVRAGES DU SITE

 

Pour pouvoir effectuer un meilleur choix, nous vous proposons des extraits de nos ouvrages.

01

SATYA

Marie-Stéphane SANCHEZ
roman initiatique

Après une journée de cette épreuve, son corps s’était épuisé et desséché car il refusait toute nourriture et la peau de son visage en paraissait plus ridée et comme tannée. Satya en décelait le teint trop jaune et émacié, en percevait la dureté, comme il l’aurait fait d’un épiderme dont on a ôté la vie, à la manière d’un vieux parchemin ou d’un cuir rendu trop dur à la suite d’un bain trop léger en tanin. Et au moment où son esprit revit les hangars de Kantilal, chargés de peaux, il eut honte d’associer sa mère à cette image de dépouille alors qu’il savait pertinemment qu’elle rejoignait la vie. Alors Satya, malgré lui et par trop de fatigue et d’émotion, s’assoupit.

 

  Quand il reprit ses esprits, il vit que la petite pièce avait été envahie d’une présence familiale et amicale. Des voisins déplaçaient la couche mortuaire afin que la tête d’Atmananda fût mise au sud avant son ultime départ, et ce furent ces mouvements silencieux qui le réveillèrent. Un homme s’était avancé pour raser le crâne de la mourante et Satya concevait que c’était les tout derniers préparatifs. Quelques cendres furent déposées sur le front de la malade et des feuilles de basilic sur sa bouche ; puis Karan se présenta au côté de sa femme et la bénit d’une légère aspersion d’eau. Les amis et voisins quittèrent la pièce tandis que Satya, conscient de l’accompagner jusqu’à son dernier souffle, continuait à assister sa mère, s’efforçant de rendre ses derniers moments aussi paisibles que possible pour ne pas perturber son âme. Afin d’attirer cette dernière par une source lumineuse, Karan plaça une bougie à proximité de la fontanelle de son épouse et présenta l’image du dieu soleil à son regard. « Surya, disait le Rig-Véda, était l’âme à la fois des êtres mobiles et immobiles ». C’était lui que préférait Atmananda ; c’était lui que l’on vénèrerait encore bientôt durant le Chhath Pūjā, car ce dieu était originaire du Bihar. Et Karan, imperturbable, maintenait l’image de Surya devant les yeux déjà presque révulsés de son épouse car il savait que son âme en percevait l’effigie.

  Puis les ultimes convulsions se firent pressentir et Amara s’éloigna avec son linge humide à la main. Atmananda sembla se redresser et fixer le regard de son fils, voulut lui parler. Sa bouche avait cessé ce mouvement de mastication mécanique et sembla s’entrouvrir pour libérer quelque parole. Satya se pencha par un réflexe naturel car il devinait que la voix de sa mère ne porterait pas avec assez de force et il sentit alors tout le corps se crisper à l’approche d’une nouvelle crise. La bouche, qui voulait s’adresser à lui, devint écumeuse et resta muette. Alors Satya prit la main de sa mère dans la sienne et, sous ce contact chaleureux, il eut le temps de sentir l’apaisement de celle qui le savait présent. Son corps s’arquebouta, ses lèvres s’ouvrirent plus grandes pour inspirer plus profondément puis Atmananda se figea ; elle avait expiré et était partie vers la vie.

02

CASSIOPEA

Jérôme SANCHEZ
roman d'anticipation

            - Ah, Elsa ! Entre, je t’en prie, l’accueillit-il d’un ton très protocolaire.

 

Elsa progressa sur le lourd dallage en damier qui se déroulait sous ses pieds à la manière d’un tapis rouge la menant à l’échafaud. Elle se sentit oppressée par l’épaisse fumée dorée et par le regard mort et accusateur provenant de l’étagère de la bibliothèque sur sa droite. Comme à chaque fois. Elle choisit de prendre les devants.

 

            - Ça a merdé…

            - Ça, pour avoir merdé… Comme tu dis…

            - J’ai peut-être été dépassée…

            - Je ne sais pas. T’en penses quoi ? l’interrogea-t-il d’une voix enduite de miel.

 

Elsa le capta de son regard.

 

            - Je suis une débutante, c’est tout à fait possible…

 

Son mentor, la tête plongée dans l’un de ses tiroirs, l’avertit :

 

            - Tu imagines bien que j’ai eu accès aux enregistrements. Une enquête est en cours, on aura des réponses, mais…

 

Il se redressa, avec un jeu d’échecs dans ses mains.

 

            - Mais j’aimerais avoir ton propre son de cloche…

            - Mon son de cloche ?

            - Oui. Tu sais y jouer ?

            - A la cloche ?

 

Guillaume la fusilla d’un regard dur et réprobateur, dévoilant le profond sérieux de la discussion au grand dam d’Elsa.

 

            - Non. Aux échecs !

 

La jeune femme fit profil bas et se sentit mal. La puissance et la rapidité de son cœur lui déclencha une sourde douleur aux tempes.

 

            - Mon père m’avait appris…

            - Parfait. Ça ne te dérange pas si je prends les blancs ?

            - Non, articula-t-elle complètement soumise.

 

Guillaume avança un pion.

 

            - Alors raconte-moi, que s’est-il passé exactement ? C’était une mission de routine, bien préparée, bien étudiée… Je connais de réputation l’équipe avec laquelle tu as fonctionné.

            - Tout semblait réglé comme du papier à musique jusqu’à ce que la cible change son itinéraire.

 

Elle avança à son tour une pièce. Son parrain ne perdit pas de temps pour faire de même.

 

            - Oui, mais ça, ce sont les règles du jeu. Ça fait partie du métier…

 

Elsa, au fil des minutes qui s’égrainèrent, essaya de gagner du temps, afin de le laisser attaquer en premier. Pour connaître ses véritables intentions. Ce qu’il fit brutalement en avançant sa dame.

 

            - Moi, ma question, c’est si tu as une quelconque responsabilité dans cet… échec !

 

Le roi d’Elsa était en effet directement agressé. Elle affronta du regard son adversaire.

 

            - Ne me dites pas que vous accordez une once de sérieux dans votre allégation, protesta-t-elle en intercalant un pion entre le roi noir et la dame blanche, qu’elle menaça alors. D’ailleurs, vous allez être contraint de la retirer…

            - Tu parles de ma dame ?

            - Bien sûr que non, rétorqua-t-elle d’un ton se voulant naturel.

 

Il sourit, obligé malgré lui de reculer sa pièce. Elsa trouva alors le moment opportun pour ouvrir un peu plus son jeu.

03

33 poèmes

Marie-Stéphane SANCHEZ
poésie

             LE DESSIN DE TON ÊTRE

 

 

Mon doigt a dessiné les lignes de ton corps,

La sagesse de ton front, la finesse de ton nez,

La douceur de tes lèvres, ton menton volontaire.

 

Mon doigt a effleuré les contours de ton âme,

La paix de son visage, la rondeur des effluves ;

Et l'élan de ta vie a terminé l'esquisse.

 

Mon doigt a rencontré la lumière de ton être,

Le message de ses yeux, la chaleur de sa flamme

Mais la couleur du temps a tout fait s'évanouir...

 

Et ma main a tremblé, mon doigt a hésité, 

Le doute s'est installé, traçant l'incertitude ;

Les contours de ton corps et puis ceux de ton âme...

J'ai tout perdu un jour, toutes mes certitudes.

04

UNE AUTRE HISTOIRE

Marie-Stéphane SANCHEZ
roman policier ésotérique

 

  Le maire avait donc pénétré dans l’enceinte maudite par la petite porte, celle qui donnait sur une rue peu fréquentée à l’arrière du commissariat et qui débouchait sur la cour intérieure carrée de l’édifice. Il reconnut Ossour, venu l’accueillir, qu’il gratifia d’un geste sobre de la tête en guise de salut courtois, distant mais noble. Il avait conservé une allure chevaleresque qui était sûrement de rigueur à l’heure d’affronter l’élément perturbateur de sa carrière sinon de son existence. Il lui fallait garder sans doute son entière loyauté envers les engagements auxquels toute sa vie avait été soumise. Ossour devinait, en marchant silencieusement et respectueusement à ses côtés, qu’il incarnait le refus de la corruption parmi les  siens mais l’acceptation de la félonie envers ses redevables. Son port altier et ses manières raffinées adoucissaient sans doute ses meurs et faisaient de lui un modèle presque sans défauts. Evoluant en un silence recueilli, il semblait totalement maître de sa monture, dévoué à une dame élue ou à une fonction peu ordinaire, au service d’un roi qui pouvait être sa propre personne. Déambuler à ses côtés prenait l’allure d’un rite officieux ou d’une marche funèbre au cours de laquelle Demestre, mal à l’aise, parfois trop replié sur lui-même, prenait alors l’allure d’un mystique émacié, d’un servant d’une cause suprême mais secrète. Parfois plus affable, se relâchant soudain comme sous l’effet de la résolution d’un combat intérieur qui n’était pas sans rappeler celui que vivait Ossour, il se parait du masque du souverain, néanmoins perverti pas les affres de la  puissance et sur le point de défendre son territoire seul, son possible trésor ou secret, ses visions extravagantes de grandeur au sein desquelles il s’aliénait lui-même. Mais le combat ne s’annonçait pas pour autant spirituel, bien que le maire arborât une rosette sur le revers de son veston et ce que l’inspecteur prenait pour une minuscule croix de Malte autour du cou. Les deux hommes et ceux qui les attendaient dans la salle d’interrogatoire étaient au confluent de forces puissantes et adverses qui allaient sans doute évoluer en une joute sans merci, de laquelle surgirait la vérité, révélation d’une certaine pierre philosophale qu’accompagnerait peut-être l’ultime  cri du phénix.

  Monsieur Demestre ne fut pas introduit dans la salle d’interrogatoire mais dans le bureau même du commissaire. Chaque regard qu’il croisa pour s’y rendre se confondit en marques de respect et signes exagérés, presque trop appuyés, de révérence. Après tout, le maire bénéficiait pleinement de la présomption d’innocence et chaque policier avait été formé, dans son école, à combattre la manifestation extérieure de ses convictions les plus intimes. Une fois les protagonistes confortablement installés dans le bureau, l’audition prit immédiatement des allures de controverse bourgeoise, anodine et presque sympathique. De fait, le commissaire, Ossour, Derks, tout le monde se connaissait déjà de vue, sauf le policier secrétaire que le maire n’avait jamais croisé personnellement.

05

34 poèmes

Marie-Stéphane SANCHEZ
poésie

                LE MANÈGE ENCHANTÉ

 

 

Ses chevaux sont les pions aux robes colorées,

Les pauvres prisonniers d’une course bridée…

Entraînant mollement un manège d’antan,

Ils libèrent au vent le bonheur des enfants

Et, précédant des rêves, en un Ouroboros,

Piétinent de leurs pas les folies de Kronos.

 

Le manège enchanté, sous sa voûte céleste,

Fait tourner les dorures que ses lampions révèlent ;

Ses fanions de couleurs reflètent en refrain

Les drapeaux de prières du peuple tibétain.

Et ses chevaux sculptés des mains de Limonaire

Arborent en silence une allure débonnaire.

 

Sur des selles cloutées ou des tapis indiens,

La mine volontaire et le regard serein,

Les enfants sont montés, en escorte docile,

Pour chevaucher au mieux des secondes futiles.

Du haut de leurs montures, ils domptent la routine :

Ils quittent leurs parents pour des heures mutines.

 

Mais ils ont évité le cheval d’Alexandre…

Il était trop fougueux pour les âmes trop tendres ;

Et les cavales noires d’Hadès ou d’Apollon

S’élancent, en leur absence, devant des étalons :

Ce sont Xanthe, Balios, du fils de Pélée

Qui, dépassant Arion, se sont fait tout dévoués.

 

Le manège enchanté a volé les enfants 

Qui, brûlant le passé, filent au firmament…

Et sous son chapiteau, ils partent vers le ciel,

Dépassent des coursiers sous des nuages miel,

En brandissant des bois, au-dessus de leurs bras,

Inventent, en « jeu de bagues », une Fantasia.

 

Tous les gamins grisés ont forcé les allures,

Leurs regards perdus étendant la voilure…

Ils ne voient plus très bien si le soleil est loin

Mais saluent leurs amours d’un geste de la main…

Et dans ce carrousel, en manège enchanté,

En voyage planant, ils partent voyager.​

06

35 poèmes

Marie-Stéphane SANCHEZ
poésie

                       COLIBRI

 

Je ne t’avais pas vu, je t’avais entendu…

Dans un bourdonnement, au milieu du silence,

Tu apparais soudain en nous offrant ta danse

Sur d’orange pétales, sans plus de retenue.

 

Si l’on ne te voit pas, tu sais que nous doutons

De ta douce présence, comme tombée des nues ;

Tu es un musicien, jouant les inconnus,

Cousin d’un papillon ou frère d’un bourdon.

 

Très frêle colibri… Ah oui ! Je t’aperçois…,

Ton plumage irisé scintillant au soleil,

Au rythme d’un ballet dont chaque pas bégaye,

Éblouissant nos yeux de ta livrée de roi.

 

Et tes teintes vermeilles affolent les abeilles,

Tes reflets verts et bleus nous rappellent la mer

Et pourtant tu es là, illuminant la Terre,

Qui viens, en enchanteur, sonner notre réveil.

 

Le bonheur se compte de quelques secondes ;

Le temps de t’entrevoir, tu files au lointain,

Nous laissant trop émus, comme des orphelins

Guettant que tu renaisses de l’oubli d’outre-tombe.

Pourquoi viens-tu si vite, sans clamer ta venue ?

Pourquoi nous émouvoir en parlant à notre âme,

Lui conter une histoire, évoluant en pavane,

Puis laisser ton absence, ce sursis ingénu ?

 

Ta beauté, colibri, nous laisse dépendants…

Faconde de ton art, la magie de tes ailes

T’élève dans le ciel, nous adresse un appel

Qui, restant en suspens, meuble le firmament.

07

L'IMMACULE

Marie-Stéphane SANCHEZ
Roman d'anticipation

Luis arriva près du Louvre ; le Louvre, zone ancienne de pouvoir… Pouvoir installé en ces lieux par Charles V, de cette lignée des Habsbourg… Pouvoir des Capet de Louis XIII à Louis XV… Pouvoir déplacé sur un autre vortex à Versailles, par le quatorzième du nom… Pouvoir amplifié par la pyramide de François. Pouvoir intronisé par le rituel d’Emmanuel… Pouvoir conforté lors les cérémonies de 2069. Pouvoir ! Pouvoir ! Luis étouffait sous la chaleur, l’emprise du pouvoir et l’idée de retourner au siège du CRIFE – Centre de la Révolution Internationale en France et en Europe. Quand, finalement, avait-il décidé d’intégrer cette organisation ? Et pourquoi avait-il pu trouver sa place dans cet organisme officiel alors qu’il était un « immaculé » ? Les guerres étaient devenues souterraines, micro-biologiques, macro-ondiques grâce à HAARP, spatiales, et les révolutions avaient perdu la bonhommie de celles de Bolivar ou du Ché ; elles avaient quitté les sentiers lumineux pour les couloirs sombres du pouvoir et les tunnels obscurs toujours gérés par l’IA. Le Pouvoir, révolution noire et invisible de la condition humaine d’origine, et la Révolution, fraternité blanche et visible pour son soi-disant rétablissement, n’opéraient-ils pas dans les mêmes pyramides ?

  -« Vous me connaissez… Franc… Vous savez qui je suis, s’énerva Luis devant le bâtiment. Hier encore j’avais mon badge… vous m’avez vu… Aujourd’hui je ne l’ai plus car je n’ai pas de mission en cours mais…. Je ne suis pas un terroriste, enfin ! »

Le planton resta de marbre ; il ne faisait qu’appliquer le protocole et c’était tout à son honneur.

  -« Vous ne pouvez pas rentrer, je suis désolé… Il ne va pas tarder ; vous n’avez qu’à l’attendre dehors. C’est mon dernier mot. »

Luis n’attendit qu’un quart d’heure avant de voir apparaître Nathan-Lee flanqué de son clone.

  -« Luis ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Qu’est-ce que vous faites là ?

  -Je vous retourne la question…

  -Entrez, je vous en prie, on va voir ça…

  -A la bonne heure ! »

Nathan-Lee se servit un scotch mais Luis refusa tout alcool. Le clone imita étrangement son modèle et il semblait se caler sur les mêmes gestes avec quelques secondes de décalage. C’était la première fois que Luis notait avec autant d’acuité cette particularité.

  -« Ron… On s’est fait arrêter et le robot-force n’a rien voulu savoir ! C’était curieux d’ailleurs… Joe n’a rien pu faire. Juste le jour où ce crétin a changé d’itinéraire… soit disant pour arriver plus vite… Tu parles ! Ils m’ont pucé, Ron ! Et à l’heure qu’il est, mon clone baigne sans doute déjà dans l’huile ! Tu vas m’enlever ce machin…

  -Calme toi ! Luis. Oui, on va t’aider…

  -Je vous ai débarrassé de Donal… J’ai rempli mon contrat… Le « deal », c’était qu’on me laisse décoller de Bristol avec un pilote qui dispose de 24 heures de « vol en aveugle »… pas qu’on m’arrête sur une bretelle parisienne pour me faire mettre un bébé dans l’ventre ! »

Ron vida son verre et parut presque trop détendu ; Nathan-Lee-C observait toujours l’interlocuteur qui s’exprimait mais sans jamais intervenir, comme s’il n’était là que pour scanner leurs paroles. Ron posa son doigt sur un écran tactile.

  -« Richard ! …j’ai dans mon bureau un jeune-homme, prononça Ron en faisant les cents pas et en souriant à Luis, qui souhaite bénéficier du protocole 394-P… Oui… le plus tôt possible… Non… surtout pas ; oui… le P2. Merci Richard, oui… au revoir.

08

36 poèmes

Marie-Stéphane SANCHEZ
poésie

                        ATARDECER

Tu ne fais pas de bruit… Tu es l’« atardecer »…

Tu nous surprends toujours, exauçant nos prières.

Recouvrant lentement nos soucis de toujours,               

Tu dissous tous nos maux que tu remets aux dieux ;

Tu enlèves nos âmes et les montes aux cieux

Pour qu’elles oublient le joug des lourdeurs du jour.

 

Tu viens à pas de loup… Tu es l’« atardecer »,

Qui tombe doucement sur nos vies, nos chimères.

Tu enlèves les bruits de nos villes trop grandes,

Tu étouffes les cris de nos petits villages

Pour nous soigner un peu,  pour que nous soyons sages ;

Ton silence est un baume, une précieuse offrande.

 

Tu t’invites chez nous… Tu es l’« atardecer »…

Et tu nous envahis, coulant comme une mer.

Déposant à nos pieds les débris de nos drames,

Tu es cette quiétude reniant la puissance,

Livrant notre abandon à ta douceur immense,

Forçant nos volontés à déposer les armes.

 

Tu joues les magiciens… Tu es l’« atardecer »…

Tu agites nos peurs qui fuient loin de nos aires.

Tu nous prends par le cœur, nous emmènes en voyage

Et nous partons très loin, dans ces mêmes contrées

Où nous avons vécu mais tu as tout changé…

Nos peines, nos tristesses sont devenues mirages.

 

Les couleurs sont douces, le soleil est inquiet

D’une étrange pâleur qui, diffusant la paix,

Détrône ses ardeurs, met ses rayons en gage.

Alors tu prends sa place en arrêtant sa danse ;

Tu nous figes à l’emprise de la nuit qui s’avance

Et nous sommes troublés d’abandonner nos rages.

 

On comprend que la vie était bien trop intense 

Et, le souffle coupé, on devient ton silence ;

Chacun est au repos et le décor change…

Les oiseaux endormis récitent des refrains

Que nous n’entendons plus, qu’ils chanteront demain ;

La nature est parée d’une atmosphère étrange.

 

Tu es venu sans bruit, envahissant nos terres…

On s’abandonne à toi ; tu es un autre père.

Ne subsiste plus rien de ce que fut naguère…

Tu es l’« atardecer »…

 

 

 

09

FAçaDE

Marie-Stéphane SANCHEZ
polar

 

Michèle, s’étant pris du rêve fou de vivre loin des hommes un court instant, avait profité d’un coup de garbin soudain pour se laisser vendre une mise en plis chez le coiffeur où je suis entré pour une coupe sage, « pixie cut » comme ils disent. Ayant investi le fauteuil pivotant du client roi, elle avait pris de l’assurance et chapeautait un apprenti capilliculteur de ses invectives douteuses.

 

 

« Pensez-vous, cette Loulou, a-t-on jamais vu un prénom  pareil, elle s’ennuie toute la journée… les enfants sont à l’école et le mari au travail. Vous croyez qu’elle n’aurait pas le temps d’aller promener le chien ? Allons donc ! Plusieurs fois je l’ai aperçue allant chez ce couple ; mais c’est que cette Emma, elle était elle aussi au travail ! Il n’y avait que lui, et le voilà assassiné ! Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Et c’est lui, Denis, qui parfois promenait leur chien, quand ça n’était pas les enfants ! »

 

Le coiffeur se taisait, les doigts noyés dans la chevelure fanée de Michèle et trop occupés à faire rouler et tourner des brosses agressives qui soutiraient des grimaces à cette femme, lui faisant déformer des propos qu’il ne saisissait déjà que trop peu. Elle le jaugeait, dans cet immense miroir où je pouvais les observer moi-même, implorant une approbation qui, par éthique, n’accouchait jamais. Le jeune-homme se réfugiait alors dans un discours clientéliste qui lui donnait l’impression de faire œuvre commerciale. « Ça ira comme ça ? C’est assez court ? Cela vous dégage bien le front… ». Michèle, soudainement sonnée par ce tocsin juvénile, rappelée à l’impératif de se soucier de sa beauté et d’un pouvoir de séduction qu’elle reprochait silencieusement à sa voisine de pallier, se contemplait,  tordait le cou, levait sa tête, considérant son physique à l’aune de valeurs morales impénétrables et devenues inutiles.

 

 

10

37 poèmes

Marie-Stéphane SANCHEZ
poésie

              LE JARDINIER D’AMOUR

 

 

Je suis un jardinier, un jardinier d’amour…

Je pense trop à toi et par ces gardénias,

Je cultive l’amour, je ne pense qu’à toi.

Je suis un jardinier, je cultive des fleurs,

Blanches et parfumées, comme l’élue de mon cœur,

Des blanches et des rouges, comme le sang de nos cœurs

Qui se cherchent et succombent au parfum du bonheur.

 

Je suis un jardinier, un jardinier d’amour ;

Je cultive des fleurs, des roses en couleur,

Pour inviter la vie à entrer dans mon cœur,

Pour chanter les  douceurs de notre amour qui sourd,

Et ces bouquets de roses, qui fleurent tes atours,

Imprègnent nos deux âmes éprises de toujours.

 

Mais tu n’étais pas là… Et cette rose rouge

Déjà cueillie pour toi, à une autre inconnue

Je l’ai donnée un jour ; seconde imprévue,

J’avais besoin de dire ce que mon cœur éprouve.

 

 

 

 

 

11

175 poèmes

Marie-Stéphane SANCHEZ
poésie

              

                    AINSI TU VAS

 

 

Bien trop petit et trop reclus, un peu perdu,

Tu hésites et t’avances, bravant les inconnues ;

Et chaque pas lancé est un défi sacré

Aux embûches du temps nouées en chapelets.

Ainsi tu vas au loin, un peu comme un mendiant,

Affrontant les silences d’espaces envoûtants,

En quête de réponses, de signes, de secondes,

Et quémandant ta part au bonheur du monde.

 

Tu vas et tu t’élances, jetant ton dévolu

Sur des images folles de gloire et d’absolu,

Sur des châteaux de joies et des monceaux de rires ;

Mais chaque pas posé, pour vivre et puis mourir,

Est comme une bravade, un combat de désirs

Où, toi, bien trop petit, tu vends tous tes sourires.

Ainsi tu vas plus loin, un peu comme un aveugle,

Aux sources de musiques qui te rendent plus veule.

 

Que feras-tu demain, aux tombes de tes joies ?

Où mettras-tu les fleurs destinées à la trêve ?

Quand vendras-tu ta peur pour racheter tes rêves ?

Insensé, étourdi, peut-être timoré… Ainsi tu vas…

 

 

12

LES DOMAINES DE TAMYA

Volume 1 : le gouffre

Marie-Stéphane SANCHEZ
roman poétique

- Oui, c’est affreux pour moi. Mais c’est la vie, Tamya. Elle est comme ça, la vie. Elle te montre le soleil, un jour que tu es jeune et beau, et tu l’regardes s’éteindre pendant tout le reste de tes jours ! Ou bien il t’éblouit tellement que t’en deviens aveugle. Que tu peux plus voir que les gens que t’aimes ne veulent pas de toi. C’est notre destinée ! Si tu ne me dis pas oui, ce sera ma destinée à moi ! »

 

Elle ne l’avait jamais vu aussi franc et direct. Aussi ferme et résolu ; elle ne l’avait jamais entendu lui dire ses sentiments et elle en fut ébranlée pendant des jours. Il acceptait le cours morne de sa vie sans rébellion, avec la sérénité du sage et la force de l’amour vrai. Il la laissait filer vers son erreur sans un reproche, presque soulagé de n’avoir plus à lutter. Tout serait calme désormais. Ses journées seraient étales et il l’apercevrait souvent de loin, sans convoitise, sans plus rien en attendre, le cœur complètement affranchi. Il s’envolait déjà vers ce nouveau pays de liberté où elle n’était plus la reine, avec la légèreté et le soulagement que procure l’aveu écouté.

Le soir, elle fut remplie de culpabilité.  Non de l’avoir repoussé mais d’être restée pleine de froideur, sans lui avouer ses propres sentiments. Elle aperçut Domingo dans un coin de sa chambre, qui ricanait. Il lui faisait regretter de s’être donnée à Francisco, un jour, pour la première fois. Elle avait alors enchaîné le régisseur sans le savoir. Et lui redonnait aujourd’hui une autonomie viciée, sans elle. Il ne vint d’ailleurs plus la visiter le soir dans sa chambre ; il n’avait plus besoin de la posséder pour la garder en lui. Mais tout le monde s’aperçut qu’il paraissait plus triste et inquiétant, parfois animé d’une rage désespérée dans les tâches qu’il effectuait. Avec trop de brusquerie et de volonté inexpliquées.

              

            

 

 

 

 

13

LES DOMAINES DE TAMYA

Volume 2 : la corde raide

Marie-Stéphane SANCHEZ
roman poétique

              

 

La grande corde qu’elle utilisait pour Brillante avait disparu. Elle avait vu qu’il était parti. Elle était rentrée dans sa chambre et avait posé sa lanterne sur le sol. Il y avait sur la table son couteau, quelques outils et des bouts de la ficelle qu’il utilisait pour empaqueter les ballots. La couverture de laine était proprement rabattue sur le lit dans lequel ils avaient passé la nuit, il y avait de cela plusieurs mois. Elle sentait que l’air était chargé de poussière. Celle-ci s’aggloméra dans un coin de la pièce et Domingo apparut, se tenant là. Il avait attrapé Ricardo par le cou et le maintenait sur le sol, comme une punition. Son visage paraissait satisfait car Ricardo se laissait faire, comme vaincu. Elle regardait la peau de vache sur le sol, là où il l’avait posée, avant de l’aimer. On y voyait les traces de ses bottes. Domingo voulut se lever pour la rejoindre mais il disparut quand elle éteignit la lanterne. Le jour se levait. Il était cinq heures et Francisco était déjà parti sur Luz. Elle ne savait plus ce qu’elle cherchait. Elle respirait sa présence. C’était l’odeur de ses choses. De son corps. La présence de son âme qui flottait partout et dont les vapeurs la pénétraient. Bien qu’absent, il était partout. Elle se déplaçait lentement dans la pièce, presque sur la pointe des pieds, comme si elle avait peur qu’on l’entende. Mais c’était parce qu’il était là et qu’il ne fallait pas réveiller son esprit. Ne pas perturber ses humeurs qui traînaient et dont elle était assaillie. Elle savait qu’il ne rentrerait pas et prit son temps. La pénombre se dissipait lentement. Elle croyait le voir qui se levait pour commencer sa journée. Il avait dû sortir et attraper la corde. Pour en faire quoi ? Son esprit vagabondait. Elle ouvrit les placards, sans raison, simplement pour regarder ses affaires. C’était sa présence. Sa tasse était renversée sur le réchaud. Il restait du café dedans. Elle le huma. Il avait mis ses lèvres ici, pensait-elle. Elle le sentait loin et près à la fois. Elle le voulait loin et près à la fois. Elle l’avait repoussé, mais ressentait sans cesse se besoin de lui. Parce qu’elle l’avait rejeté et le sentait libre, il lui manquait. Elle passait la main sur tout ce qu’elle voyait, en marchant en rond dans la petite pièce. Celle-ci paraissait misérable mais elle pensa que c’est lui qui avait tout. Parce qu’il s’appartenait. Alors qu’elle-même était toujours en fuite. N’était jamais rassasiée. Elle ne comprenait pas pourquoi. Le soleil avait sauté maintenant par la fenêtre et illuminait la pièce.

 

 

 

 

bottom of page