Par Jérôme SANCHEZ
Je pense que l'envie d'écrire, de dessiner ou de composer peut naître dans chaque personne à tout moment, selon son histoire et son vécu.
Me concernant, j'ai été quelqu'un de relativement scolaire. Après avoir passé mon bac, j'ai voulu accomplir un rêve qui je pense s'est imposé devant tout jeune homme, devenir pilote dans l'armée. Même si celui-ci n'a pas duré bien longtemps, j'ai eu le temps de me heurter à la raideur de l'uniforme dans les écoles militaires, mais aussi à un monde ou personne ne doit être différent et où l'obéissance doit se faire de manière collective et harmonieuse. J'ai passé une excellente année, mais en ruant dans les brancards: en me laissant (raisonnablement) poussé les cheveux dans un milieu où l'on préfère être chauve, en discutant les instructions lorsque j'étais en désaccord, en critiquant ouvertement les comportements dissonants avec les valeurs prônées.
Il ne m'a pas fallu un an pour comprendre que mon désir de liberté allait me jouer des tours si je persistais à réaliser une carrière militaire consacrée à un pays que j'aimais.
Je me suis réorienté, un peu au gré du hasard, vers des études médicales à la faculté. Là encore, j'avais une tendance à réfléchir de manière différente des autres, et je crois que c'est là que j'ai réalisé que penser comme tout le monde était un "devoir" humain et non spécifiquement militaire. En parallèle des études, j'ai tenté de me faire une petite culture littéraire et c'est ainsi que j'ai écrit un premier livre mais que je n'ai pu achever par manque de temps. Par ailleurs, j'étais un passionné de politique: je ne manquais aucune émission sur le sujet, étais très attentif aux différentes élections et me tenais au courant de l'actualité tel un étudiant en école de commerce.
C'est à ce moment que j'ai commencé, malgré moi, à avoir la conviction que la réalité de ce monde n'était pas forcément celle que l'on nous dépeignait. Mes idées m'ont fait prendre progressivement du recul, et je me suis demandé, dans l'absolu, dans quel monde évolué devait-on s'endetter toute sa vie (et donc travailler) pour avoir un toit dans la sixième puissance mondiale qu'était la France. Je crois que c'est la première réflexion (suivie de beaucoup d'autres) qui m'a emmené sur la route difficile de l'idéalisme.
Cela correspond à la période où j'attaquais mon internat de médecine générale que j'ai fait dans la douleur. J'avais un excellent relationnel avec les patients, mais exécrable avec les médecins qui prenaient ma curiosité, mon manque de confiance en moi ou mes réflexions pour de l'insolence. J'ai eu la sensation de me retrouver dans un tunnel nécessitant trois ans pour le traverser. Trois ans sans vacances et à raison de 80 heures de travail par semaine... Trois ans qui émaillés de véritables clashs avec mes supérieurs, ont provoqué chez moi le besoin de m'épanouir par la création et l'apprentissage: retrouver le plaisir de lire, d'apprendre des langues en dehors de tout contexte de nécessité, et l'envie de peindre. J'ai vite compris que l'épanouissement personnel était la raison d'être de la vie, et que dans la société d'aujourd'hui, rien n'était fait pour nous permettre de nous retrouver ou de nous accomplir.
J'ai fini mon cursus fin 2016, et ai été thésé en 2017. J'ai donc commencé mon exercice dans les mêmes conditions que l'internat: des semaines et des week-end à n'en plus finir. J'aimais le contact avec les patients, mais avais peu confiance dans la médecine comme j'avais peu confiance dans la société. J'ai préféré écouter que prescrire, comprendre que critiquer. Mais ma soif de liberté n'était pas étanchée: j'ai le droit et le devoir de me préoccuper du bien-être des patients, mais on m'interdit de conseiller des compléments alimentaires ayant fait leur preuve mais qui ne proviennent pas de laboratoires sélectionnés en amont. Je dois prendre en considération les croyances religieuses pour les soins, mais sans avoir le droit d'en parler ou de mener des études dessus. Je suis formé à avoir un esprit critique, mais ne suis pas autorisé à en faire preuve sur des sujets brûlants. Le poids de l'uniformisation me pesait de nouveau, mais je m'en délestais allègrement une fois la porte de mon cabinet fermée, au grand soulagement des personnes qui se confiaient. C'est là que, à ma grande surprise, je me suis aperçu que beaucoup de personnes pensent la même chose mais sans avoir le droit de le dire. Intellectuellement, je me suis sevré peu à peu de cette société, de sa bien-pensance et de ses si belles valeurs.
Et puis... L'occasion s'est présentée à moi. Après deux ans d'exercice, je me suis marié et ai traversé l'Atlantique pour m'installer en Amérique du Sud, raccrochant ma blouse, abandonnant la sécurité d'un salaire plus que confortable, mais perdant aussi la sensation d'utilité le temps d'inactivité. Dans les Andes... Où les personnes sont simples, bonnes et chaleureuses... Où la vie est beaucoup moins trépidante... Où l'on retrouve le temps... Le temps de se poser la question de ce que l'on veut faire dans la vie, le temps de vivre aux côtés de sa famille, le temps d'écrire, de se retrouver et de s'accomplir. De se découvrir...
Jérôme SANCHEZ

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